Monsieur le Premier Ministre,

En tant que Président de CPAS, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt la présentation que vous avez faite de votre accord de gouvernement.

J’ai également pris le temps de lire l’ensemble des points de votre accord et, en particulier, les mesures socioéconomiques car elles auront un impact direct sur le niveau de pauvreté et la vie quotidienne des personnes précarisées. J’ai donc lu chacune des mesures que vous proposez en me demandant si elles permettront de diminuer le nombre de personnes qui souffrent de pauvreté.

Mon premier regret est que la lutte contre la pauvreté n’est pas définie comme une priorité par votre gouvernement. Vous expliquez, notamment, que le travail est le meilleur remède contre la pauvreté, que le gouvernement élaborera un plan d’action pluriannuelle de lutte contre la pauvreté, mais je ne sens pas de volonté réelle de diminuer le nombre de pauvre dans notre pays. Le gouvernement Di Rupo avait fait de la lutte contre la pauvreté une de ses priorité et que ce que l’on a eu en retour, ce sont des exclusions du chômage et une diminution des pensions ! Je vous l’accorde, mais justement, n’aggravez pas la situation!

Votre gouvernement me donne l’impression de ne pas savoir ce que nos concitoyens vivent au quotidien. En Région Bruxelloise, approximativement un tiers des Bruxellois vit avec un revenu inférieur au seuil de risque de pauvreté. Près de 20% de la population active bruxelloise perçoit une allocation d’aide sociale ou de chômage. Près de 5% de la population bruxelloise d’âge actif dépend donc du revenu d’intégration sociale ou équivalent, et ce pourcentage est encore deux fois plus élevé parmi les jeunes adultes. Un cinquième des demandeurs d’emploi bruxellois est inoccupés et cette proportion grimpe à 30,3% pour les moins de 25 ans[1]. Les parents qui ont un jeune souhaitant trouver un emploi et un logement vous le confirmeront, la situation est de plus en plus difficile pour tous. Vous me direz qu’il y a des exceptions et qu’il y a encore de nombreux jeunes qui s’en sortent. Il y a parfois des parcours que l’on peut saluer, mais dans la majorité des cas ils ont la chance d’être bien né. Tout le monde n’a pas l’opportunité de bénéficier d’un coup de pouce de parental.

Dans ma commune le nombre de personnes qui ouvrent le droit au revenu d’intégration est passé, de janvier 2009 à janvier 2014, de 784 à 1587. Les familles monoparentales, et parmi elles, les mères isolées constituent un public particulièrement à risque. Une femme seule avec enfants perçoit une allocation mensuelle de 1089,82€ et en consacre de 70 à 90% au loyer. Que lui reste-t-elle pour vivre une fois qu’elle à payé ses charges locatives, les frais de scolarité, les vêtements des enfants, leur alimentation et leur soins ? Le surendettement chronique de ces familles, laisse imaginer la réponse… Vous-même, pourriez-vous vivre avec ce montant ? Oui c’est vrai : « Ces personnes devraient travailler »… Savez-vous que certaines personnes sans logement donnent priorité à leur recherche d’emploi pendant que leur famille vivote à gauche et à droite ? L’espoir de trouver un emploi et d’accéder à un salaire qui leur permettra de payer le loyer d’un logement décent est bien souvent mince. Si pour vous le travail est le meilleur remède contre la pauvreté, je vous informe que de nombreux travailleurs sont tellement pauvres qu’ils sont contraints de solliciter l’aide du CPAS pour finir le mois dignement. Même pour les classes moyennes votre gouvernement se fourvoie dans les solutions apportées. Le saut d’index en est un triste exemple.

Une phrase dans votre accord de gouvernement a le mérite d’être claire : « L’augmentation éventuelle du nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration découlant de nouvelles réformes socio-économiques aura pour conséquence que les CPAS recevront des moyens de compensation supplémentaires. » Vous envisagez donc sérieusement que les mesures socio-économique que vous avez l’intention de prendre augmenteront le nombre de personnes pauvres ?! Effectivement, quand on lit les chapitres de l’accord de gouvernement relatifs à la sécurité sociale, certains points sont édifiants : intensification la chasse aux chômeurs, diminution des pensions et l’on peut craindre de sévère restriction en matière de soins de santé…

Je vous avoue que je ne suis pas plus rassuré quand je lis ce qui concerne l’aide principale accordée par les CPAS à savoir le Revenu d’intégration. Vous annoncez que vous porterez progressivement les prestations d’aide sociale au niveau du seuil de pauvreté européen. Vous précisez que la priorité sera donnée aux personnes présentant le plus haut risque de pauvreté. On se croirait à une époque révolue ou une distinction était faite entre les vrais et les faux pauvres, les méritants et les autres. Ce sentiment est renforcé à la lecture du paragraphe sur la contractualisation de l’aide sociale. Vous voulez la généraliser via « un projet individualisé d’intégration sociale qui doit définir un projet clair vers plus d’autonomie ». Vous rajoutez donc une condition d’accès au droit à l’aide sociale. C’est d’autant plus inquiétant que vous n’envisagez cette marche vers l’autonomie que par un service communautaire qui n’est autre qu’un travail gratuitement presté.

Décidément rien ne me rassure sur votre volonté d’agir sur les causes de la pauvreté. Au contraire je m’inquiète des mesures prises qui augmenteront le nombre de travailleurs pauvres.

Stéphane Roberti.

Président ECOLO du CPAS de Forest

[1] Les chiffres ci-dessus sont issus du baromètre social 2014 publié par l’observatoire de la santé et du social Bruxelles-Capitale.