Hypocrites indignations et déclarations d’intention vs orchestration de la pauvreté, en particulier des mères.

 

Les constats déferlent dans les médias : en Belgique 400.000 enfants vivent sous le seuil de pauvreté, à Bruxelles, un enfant sur quatre grandit dans une famille sans revenu du travail, 12,8% des enfants de moins de 3 ans vivent dans une famille au risque accru de pauvreté, …

 

Alors l’Europe s’engage en savants slogans; Stratégie Europe 2020; réduction de 20 millions de personnes touchées par l’exclusion et la précarité sociale. Dans sa roue, les ministres et secrétaire d’Etat de droite, ont financé des programmes de lutte contre la pauvreté infantile. Madame De Block, naguère ministre de l’intégration sociale, a rencardé les CPAS pour une campagne de bienfaisance « Les enfants d’abord! ». Ce programme finance ainsi la mise en place de plateformes de concertation et de détection des situations de pauvreté infantile entre acteurs de l’encadrement de l’enfance afin de coordonner leurs actions. Les « bonnes pratiques » de ce dispositif se targuent des succès des ateliers de customisation de cartables de seconde main et se brossent bien du secret professionnel « dans l’intérêt des usagers ». Plus récemment, Elke Sleurs, secrétaire d’Etat NVA, consacrait une journée à la promotion de la Déclaration des Bourgmestres contre la pauvreté infantile où les villes et les communes se mobilisent contre la pauvreté des enfants. Ce sont cette fois des bourgmestres qui justifient leur signature au bas de cette déclaration en nous parlant de chèques sportifs à l’attention des familles pauvres, de coaching scolaire par des étudiants eux-mêmes pauvres, de contrats de quartier durable qui permettent l’aménagement d’espaces de détente pour enfants, parfois -Ô joie!- en concertation avec « les jeunes des quartiers ».

 

Tout cela paraît fort dérisoire quand on voit à quel point la précarité marque son empreinte avant même la naissance. L’Observatoire de la Santé et du Social a étudié l’impact de la pauvreté sur la périnatalité : alimentation de faible qualité, moindre suivi médical de la grossesse, prématurité, petits poids à la naissance sont plus fréquents chez les mères démunies. Et l’engrenage des retards accusés, sur le plan de la santé, du développement du langage et de l’accès aux loisirs s’enclenche sans ménagement pour certifier les difficultés scolaires et compromettre les chances de trouver une place sur le marché de l’emploi plus tard. La parentalité est en outre un facteur précipitant les risques de pauvreté parce que les enfants, a fortiori s’ils sont nombreux, représentent aussi une charge significative voire un prétexte à la discrimination lorsqu’il faut se loger, chercher un emploi, participer à une formation…

 

Les mesures d’austérité touchent particulièrement et violemment les femmes, les cohabitantes, les familles monoparentales, celles qui passent d’un statut précaire à un autre… Bref aussi de mères, qui sont acculées à reporter une facture scolaire, à compter et décompter les jours et les sous qu’il reste et jauger le frigo, à se priver elles-mêmes de l’essentiel pour remplir les boites à tartines jusqu’à la fin du mois.

 

Quelle hypocrisie dans ces dispositifs de lutte contre la pauvreté infantile. Quand les mêmes gouvernements œuvrent si consciencieusement à appauvrir les parents, et les mères, singulièrement, par les nombreuses mesures de détricotage du cadre du travail, d’exclusion de la sécurité sociale ou encore de contrôle renforcé de l’octroi du revenu minimum. Une campagne très éloquente de l’Unicef (1) a mesuré l’impact de la crise de 2008 sur la pauvreté des enfants dans 41 pays « développés ». Les constats ne font aucune place au doute; les plus jeunes sont plus nombreux et demeureront des victimes de première ligne de la crise financière de 2008. Les faits sont particulièrement observables dans les pays où la protection sociale s’est elle-même affaiblie ces dernières décennies.

 

Si les (ou le) parent(s) sont(est) privé(e)(s) des sécurités essentielles qui permettent d’envisager un peu sereinement le quotidien, manquent simplement d’un revenu décent, ce n’est pas un chèque sport ou un processus de concertation pour l’aménagement d’un terrain de sport qui vont combler les retards cumulés et compenser l’héritage des manques !

 

L’école gratuite est reportée au jour où ce sera une mesure moins chère et moins difficile à mettre en œuvre, si on en croit le Pacte d’excellence. En attendant les frais scolaires sont exorbitants pour de nombreuses familles. A Forest, en dépit de l’inquiétude des associations de parents et de l’opposition d’Ecolo, du milieu associatif et du Délégué Général aux Droits de l’Enfant, le nouveau règlement d’ordre intérieur prévoit entre autres que l’école peut limiter l’accès des enfants de mauvais payeurs aux sorties mais aussi aux repas chauds et même aux garderies.

 

Les enfants au cartable incomplet le jour de la rentrée seront aussi ceux qui ramèneront bientôt des rappels de factures scolaires, des frais de cantine et de garderie impayés. Ces factures minent la relation entre les familles et l’école, trop souvent encore avec l’enfant en intermédiaire, messager, victime et responsable, poussé à des stratégies pour ne pas endosser trop vite l’étiquette de l’enfant de pauvres. Dans les CPAS, on continuera à intervenir dans la prise en charge de ces factures et ainsi à étirer la solidarité locale pour couvrir une partie de ces coûts et protéger un peu les enfants, les familles et les écoles.

 

La pauvreté est un problème tenace qui se transmet mécaniquement à la génération suivante. Pour la contrer, il faudrait nécessairement revaloriser le revenu d’intégration comme ultime filet de sécurité, maintenir toute l’efficacité du dispositif des allocations familiales (suspendu à une régionalisation à l’aveugle) et garantir un accès aux milieux d’accueil de la petite enfance, en particulier pour les enfants dont les parents ne travaillent pas, aux encadrements spécifiques au sein de l’enseignement… C’est tout le contraire qui se dessine, je le déplore lors de tous les Comités Spéciaux du Service Social en voyant fonctionner la machine de la fabrique des pauvres. Les mères qui s’écroulent quand elles doivent livrer qu’elles ne savent plus remplir les boites à tartines à la fin du mois ou celles dont les enfants ont finalement été placés parce qu’aucune alternative n’a pu être trouvée à leur logement insalubre devenu dangereux pour les petits… Qu’en reste-t-il des chances de ces enfants de se construire sur des bases sécurisantes ?

 

  1. https://www.unicef.be/fr/limpact-de-la-crise-sur-les-enfants-dans-les-pays-riches/
  1. Naître Bruxellois(e), indicateurs de santé périnatale des Bruxellois(es) 2000-2012, Observatoire de la Santé et du Social, COCOM, 2015.

L’article complet est à découvrir dans le dernier magazine « Ensemble »

Stéphane ROBERTI, Président Ecolo du CPAS de Forest

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