Nous vous présentons un conte pour petits — et grands — enfants, écrit et illustré par Dina Kathelyn. Une belle invitation à réfléchir aux enjeux des OGM.

Lisez-le ci-dessous ou téléchargez le pdf.

Il était une fois…
une petite planète bleue bien triste et bien malade. Malade d’être bleue. Oh, l’économie n’y est pas mauvaise, les usines produisent, les camions transportent, la bourse fluctue, les journaux informent, les potins galopent… Mais les habitants s’éteignent doucement ! Le teint pâle et même légèrement bleuté, ils vont, viennent, la parole amère, l’œil triste, le geste lent. Le bleu à l’âme… Seules quelques rares sortes de plantes et d’espèces animales subsistaient. Pas d’oiseaux, pas de papillons. Pas de fleurs, peu d’arbres, pas de chant de la rivière.
En dehors de l’unique ville, à perte de vue, des champs de tomates bleues, de choux bleus, de tournesols bleus, de radis bleus, entourés de jachères étouffant sous une énorme couche d’énormes pucerons. Bleus eux aussi.
Avant le bleu… la couleur !
Avant — bien avant ! — au temps des tomates rouges, des choux verts, des tournesols jaunes et des radis blancs, la vie de cette planète — appelons-la Tertius — était riche, pleine de saveurs, de parfums et d’ardeur. Plantes, insectes, rongeurs, petits et grands mammifères, reptiles, poissons évoluaient selon le cycle de la « chaîne alimentaire » : une espèce en nourrissant une autre qui en nourrissait une autre à son tour. Les prédateurs étant les « gendarmes » utiles au bon fonctionnement de cet ensemble.
Tertius était un petit astre heureux.
Mais, me demanderez-vous, pourquoi donc tout cela a-t-il ainsi changé ?
Et bien… il y avait, en ces heureux moments-là, et dans un petit laboratoire de briques au milieu des champs, un chercheur appelé Jean-Pierre Mirando, fou de botanique, soucieux de l’environnement et actif au bien-être de tous. Il était admiré de ses concitoyens car il mettait son savoir et ses compétences de chimiste et physicien au service du développement des meilleures sortes de céréales, de fruits et de légumes…
Le temps passant, ce savant — qui était vraiment très savant ! — orienta ses recherches de manière plus pointue. Introduisant les gènes d’une espèce dans l’organisme d’une autre espèce. Supprimant les défauts de l’une et lui donnant les qualités de l’autre, il « inventa » le pommier qui reste petit pour qu’on n’ai plus besoin d’échelle pour cueillir ses fruits, les raisins sans pépins pour ne plus devoir cracher ceux-ci, un cornichon adapté au format des hamburgers, un maïs résistant à tous les désherbants et plein d’autres « changements » pour avoir des espèces plus grosses, plus grandes ou plus tendres ou plus juteuses. Et surtout cette fameuse tomate d’un bleu éclatant qui lui valu la célébrité universelle, amusait les enfants et décorait les buffets des grandes cérémonies.
La « tomate bleue », devenue le symbole de l’évolution et de la modernité, figurait maintenant sur le drapeau de Tertius !
Tout cela paraissait merveilleux !
Durant ces années de grands bouleversements technologiques, Jean-Pierre Mirando avait subversivement changé… Se renfermant sur lui-même, le regard perdu dans un monde inaccessible, il était devenu avare de ses conseils et peu enclin au partage de ses idées. Le nouveau laboratoire, tout de béton, de verre et d’acier, qu’il fit construire pour les besoins de ses recherches grandissantes, dénaturait le paysage et commençait à dévoiler la déviance de son esprit.
Le grand bouleversement
Se faisant appeler maintenant Jean Pic de la Mirandole, il s’arrogea les titres de philosophe et humaniste de son illustre homonyme et, comme lui, s’habilla de velours pourpre. Il se dit alors qu’ayant beaucoup travaillé pour le bien-être de tous, ce serait normal qu’il en soit maintenant récompensé. Il demanda donc au Gouvernement — et obtint ! — la permission de faire breveter ses « inventions » et d’en devenir ainsi propriétaire. Tous ceux qui, dès lors, voulaient cultiver une espèce que Monsieur Pic de la Mirandole avait modifiée devait lui payer une redevance.
Et spécialement pour cette belle tomate bleue !
Notre génie s’enrichit considérablement et ses doigts devenus crochus reflétaient sa cupidité grandissante. Pour gagner encore plus d’argent, il songea alors qu’il suffirait de supprimer les espèces de tomates rouges, obligeant ainsi TOUT LE MONDE à planter les variétés bleues et à lui payer des droits.
Il n’y eu plus, bientôt, sur Tertius, dans les champs et jardins, ni tomates rouges, ni aucune sorte de plantes qui faisait sa richesse et sa diversité car, pour toutes les espèces, le savant mégalo avait imaginé une modification brevetée !
Mais…
Pas prévu !
Il arriva une chose que Mirando n’avait pas prévue. Ou pas voulu prévoir ! Les abeilles et les papillons qui butinaient les fleurs de tomates bleues mouraient en vaste génocide car cette nouvelle synthèse ne convenait pas à leur constitution… Les pucerons, eux, aimaient tant qu’ils en devenaient bleus de plaisir… Ce qui ne plut pas aux coccinelles résolument rouges de colère avant que d’être noires d’être mortes. Le cycle de prédation ainsi interrompu, les pucerons envahirent toutes les espèces végétales, polluèrent les sources et rivières, grimpèrent sur les arbres, étouffant les feuilles, recouvrant les nids d’oiseaux et réduisant les fleurs des champs au rôle de support à leur marche dévastatrice.
Les hommes, les femmes et les enfants, malades de combattre cette engeance — et malades d’une nourriture qui ne contenait plus la Vie ! — regrettaient bien le temps des tomates rouges, des choux verts, des tournesols jaunes et des radis blancs.
Un sorcier ?
Notre docte chercheur inventa alors des engrais puissants pour palier aux carences de la terre, des insecticides meurtriers et empoisonneurs, tant pour les insectes que pour tous ceux qui étaient en contact avec eux, et des médicaments pour redonner du rose — un rose bien artificiel ! — aux joues des enfants.
Il devint encore plus immensément riche… mais n’en resta pas inactif pour autant : il « inventa » des animaux pour les utiliser dans ses laboratoires et envisagea aussi de « travailler » les cellules humaines pour modifier les futurs enfants qui naîtront sur la planète afin qu’ils supportent mieux les tomates bleues. Pour cela il « fabriquait », dans des éprouvettes, des bébés sans papa ni maman.
Ce savant, que les gens avaient pourtant bien aimé, était devenu un sorcier et un dictateur.
Mais puisque tout conte se doit de bien finir, je vous dirai ceci : rassurez-vous cette planète n’existe pas.
Quoique…

 

COMMENT PEUT-ON FAIRE UNE TOMATE BLEUE ?

Imagine que toute la matière vivante (hommes, animaux et plantes) est composée de petites cellules et que chacune porte une information : il y en a une qui dit à la tomate d’être rouge, une autre qui dit au petit cochon d’avoir la queue en tire-bouchon et d’autres encore qui ont dit, à toi, d’avoir les yeux bleus de ta maman, le grand nez de ton papa et l’air distrait de ton oncle Jules.
Les savants ont maintenant trouvé des techniques pour modifier ces informations et obtenir des « gènes » qui pourraient dire au petit cochon d’avoir un air distrait, au poisson rouge d’avoir la queue en tire-bouchon… et aux tomates d’être bleues.
Cela s’appelle la manipulation génétique.