Les migrations sont un phénomène fluctuant dont les amplitudes restent imprévisibles.  La mise en œuvre d’un accueil de qualité pour tous les demandeurs d’asile représente une gageure. Une carte blanche de Stéphane ROBERTI, président du CPAS.

Les situations géopolitiques, les zones de conflit ou de danger, les trajectoires parsemées d’embûches et les besoins de sécurité varient certes, mais la mobilité des hommes et des femmes fuyant leur maison en quête de conditions de vie meilleures ne peut faire que s’accélérer vu les conflits et les autres causes de destruction de l’habitat, comme les dérèglements climatiques. On doit regretter les logiques et les termes empruntés au management par l’agence fédérale en charge de l’asile et des migrations pour prendre les responsabilités qui nous incombent.

A nous de développer une vision pragmatique campée sur des principes inébranlables de commune humanité pour un accueil pour une inclusion de chacun.

L’été 2016 aura été une dispersion nauséeuse de faits violents revendiqués ou non par un groupe excitant toutes les pulsions agressives des jeunes hommes aussi paumés que terrifiants. Effrayant pour chacun et chacune d’entre nous. Malheureusement, cela a représenté autant d’occasions pour certains responsables politiques, les médias et leurs audienceurs sur les réseaux sociaux de faire le lit des amalgames, fatalement réducteurs et outrageusement porteurs de discriminations et de tensions. Les victimes de ces attentats terroristes sont aussi les milliers de demandeurs d’asile, les mêmes qui ont fui la terreur de Daesh ou de tout autre régime méprisant la vie, et plus largement les hommes et les femmes de religion musulmane. Nous devons nous garder de la méfiance inoculée entre concitoyens et réaffirmer avec force notre volonté de voir aboutir un accueil digne et une place pour chacun et chacune, sans angélisme ou naïveté mais en se donnant toutes les chances d’y parvenir.

Et en Belgique comme ailleurs en Europe, on fait tout le contraire. Depuis deux ans plus que jamais.

Dès 2014 l’accord du gouvernement Michel prévoyait une politique de l’asile et de la migration restrictive, une lutte contre les abus (présumés), une collaboration renforcée dans les échanges d’informations pour ‘une politique du retour ferme et humaine’. Pratiquement, une préférence pour l’accueil en centres collectifs est justifiée par un meilleur contrôle du droit à l’accueil, par la centralisation des données et pour encourager la politique de retour ‘volontaire si possible, forcé si nécessaire’. La criminalisation des migrants est omniprésente dans le texte, les réponses amenées sont simplistes ; contrôles et dissuasions. Les campagnes sont engagées, présentant un super héros du retour des méchants dans leur pays pas si dangereux (c’est des chochottes), à grands coups de médiatisation, amplifiée sans vergogne par les médias classiques.

Et que dire d’une procédure déshumanisante fondée sur le récit autobiographique, sur le renvoi à une nationalité et une communauté qu’on a fuies, plongeant le demandeur d’asile dans un temps suspendu aux convocations de l’Office ou du CGRA, dans l’attente paralysante que le destin bascule entre un retour, rarement volontaire, et une vie à réinventer.

Confronté l’été dernier aux nombreux rescapés fuyant par tous les moyens leur pays d’origine et demandant l’asile tel que défini dans la convention de Genève, le gouvernement fédéral a manqué à ses engagements humanitaires avant de solliciter l’aide des CPAS pour créer des places d’accueil (Initiatives Locales d’Accueil). Les CPAS ont engagé de nombreuses ressources pour participer à un accueil de qualité ou simplement pour éviter les lourdes sanctions agitées par le Secrétaire d’état et le ministre de l’intégration sociale par voie de presse, courriers, et autre déclaration fracassante.

La pression était alors telle que de nombreuses places ont été créées au détriment des gens en attente d’une solution de logement. La création de places en ILA, jugées même juteuses par certains opérateurs privés a induit une concurrence de pauvres sur la petite part marché de l’immobilier accessible, spécifiquement en région bruxelloise.

Dès le printemps 2016 pourtant le secrétaire d’Etat a renoncé au plan de répartition, Fedasil a freiné net son programme de création de places et subsidie au rabais les places d’accueil inoccupées. Les business plans sont relégués et on attend tous les matins une désignation pour ouvrir les portes de nos ILA aménagées et confirmer les contrats des personnes engagées pour accompagner les familles à leur arrivée dans nos communes. La diminution du nombre de demandes permet aujourd’hui au fédéral de fermer des places en centre et d’ainsi évincer les partenaires associatifs historiques et de se priver de leur expertise et de leur analyse de la situation.

L’accueil en logement individuel est réservé aux groupes vulnérables et aux ‘taux de reconnaissance élevé’. Notons qu’on préjuge ici de l’obtention ou non d’un titre de séjour sur le seul fait de la nationalité ; c’est non seulement réducteur mais aussi discriminatoire.

Aujourd’hui, on apprend par la bande, que le dispositif des ILA va être reconverti pour assurer la transition des ‘flux sortants positifs’ de l’aide matérielle à l’aide sociale. C’est le Nouveau Modèle d’Accueil, entré en vigueur le premier août, sans grande com’ cette fois. Concrètement, il ne s’agit plus pour les CPAS d’accueillir des ménages en demande d’asile le temps de l’instruction de la procédure mais bien d’accompagner en un temps record des personnes à l’autonomie dans un logement classique avec un revenu d’intégration toujours sous le seuil de pauvreté.

Tout porte à croire que l’asile tel que prévu par la Convention de Genève comme un refuge pour des hommes et des femmes qui fuient le danger, est considéré comme dépassé par nos autorités. La fermeture des frontières de l’Europe et l’accord d’externalisation des dossiers en hot spots ou encore le marchandage de flux avec la Turquie ont porté un coup fatal aux principes de Genève. Le nouveau modèle promu est celui du resettlement ou réinstallation, qui consiste à sélectionner quelques dizaines de profils dans un pays tiers (par exemple dans les camps au Liban) parmi les plus vulnérables ou les plus méritants, de les informer lors d’un module de 2 semaines de présentation de la Belgique (type inburgering au Rwanda) avant de les faire venir en Belgique. Ni plus ni moins que de l’immigration choisie (sur quels critères ?) d’une infime partie des gens qui ont tout quitté et cherchent une vie meilleure.

Et les médias français et italiens annoncent une nouvelle augmentation des arrivées à Paris et sur les côtes au large de l’Italie… Et on construit des solutions, des murs en particulier.

Stéphane ROBERTI

Président du CPAS