Ce dimanche 4 décembre, Ecolo a eu l’audace de mettre en débat l’opportunité de mettre en place un Revenu de Base qui deviendrait une nouvelle branche de la sécurité sociale en complément de celles qui existent déjà (chômage, RIS, pensions, etc.)

Pour ce faire, plusieurs intervenant.e.s , de la société civile et d’autres partis, ont été invité.e.s à donner leurs avis. Parmi elles/eux, Anne Rakovsky, Conseillère CPAS  de Forest.  Nous vous invitons à découvrir le texte de son intervention.

Anne Rakovsky 1

 

 

Bonjour à toutes et tous, 

Je vous avoue être impressionnée me trouver à cette place. 

D’une part, impressionnée parce que vous êtes nombreux. 

D’autre part, impressionnée positivement parce qu’en m’invitant ici les organisateurs de cet Ecolab prennent une posture extraordinaire. C’est à dire qu’ils ont fait le choix non pas d’inviter Anne Rakovsky mais bien d’inviter une pratique de terrain, de sortir de l’ombre un savoir social. Donc je les remercie et je suis particulièrement fière de partager ce savoir, ma pratique avec vous. Et comme dirait Franck Lepage de faire de ce savoir un objet politique pour réfléchir ensemble au changement de structures ou de mesures inadéquates. 

Je souhaite commencer cette intervention par des interpellations de certains étudiants (pas la majorité d’entre eux fort heureusement!) de première BAC assistant social. Pour beaucoup d’entre eux le CPAS représente l’institution majeure du secteur social (ce qui n’est pas faux). Lors de nos échanges et du questionnement que je tente de leur insuffler beaucoup d’entre eux – et particulièrement cette année – questionnent la transparence des bénéficiaires du Revenu d’Intégration (RI) ainsi que la légitimité sur base de laquelle sont octroyées les aides financières. Ce que j’entends ce sont des interventions telles que : 

1. « certains en profitent aux dépens d’autres qui y auraient droit mais n’y ont pas accès ».

2. « beaucoup travaillent en noir et l’AS ne le sait pas ». 

3. « certains ne veulent pas travailler alors ça les arrange d’avoir un revenu tous les mois sans rien faire »

4. « Certains sont méritants d’autres non »

Je vous avoue être affolée par ces interventions, constatant la victoire d’un discours insidieux : 

-selon lequel la fraude sociale est énorme. 

-selon lequel la plupart des pauvres sont des fainéants

-selon lequel si l’on octroie à l’un il y aura moins pour un autre

Et que donc l’assistant social (AS) aurait pour mission de contrôler, de hiérarchiser la pauvreté. Cette casquette de contrôleur est à mon sens évidemment liée à ce pouvoir qu’ont ces derniers à délivrer ou non des moyens financiers. 

Il nous reste donc, nous enseignants, à déconstruire tout ça pour que chaque étudiant puisse ensuite maturer sa propre identité professionnelle sur base:

-de faits (le résultat d’études effectuées sur la fraude sociale en CPAS par exemple)

-des principes fondamentaux du travail social. 

Une hypothèse que je soulève est qu’à partir du moment où une dimension économique intervient dans la relation d’aide ou que l’octroi d’un revenu « décent » dépende d’une enquête réalisée par un travailleur social (TS) cela met en péril le dispositif d’aide. Et l’octroi de ce moyen de subsistance par un organisme social est très stigmatisant et interpellant car les TS peuvent se retrouver eux mêmes participant à l’exclusion totale d’individus ne rentrant pas dans les critères d’octroi actuels (relation inégalitaire et de pouvoir). 

Partant de cela, je dis oui pour un revenu de base mais alors un revenu de base : 

– octroyé de manière individualisée et automatique par une institution distincte du CPAS. Ce qui met de coté la question du mérite évaluée sur base d’une souffrance sociale. 

– qui exclut toute politique d’activation et de contractualisation

– au moins d’un montant équivalent au seuil de pauvreté

=> A mon sens si ces conditions ne sont pas réunies, le revenu de base n’a pas pour ambition d’éradiquer la pauvreté (qui constitue d’ailleurs un fondement du travail social).  

Les personnes que je rencontre ne parviennent pas à satisfaire leurs besoins élémentaires. Si ces personnes viennent demander de l’aide c’est bien le manque de ressources suffisantes qui constitue la demande principale (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres problématiques mais cette demande est première pour pouvoir manger!). Lorsqu’elles bénéficient d’un logement (ce n’est pas toujours le cas!), ce dernier est souvent insalubre. Le paiement du loyer et de la facture mensuelle d’énergie grève sérieusement les budgets de la plupart des personnes. Elles se trouvent devant l’impossibilité de payer les autres charges prioritaires ou doivent opérer des choix tel que, par exemple, celui de se priver de chauffage (avec l’espoir de limiter le cout de leur facture énergétique) pour pouvoir s’alimenter. 

Je suis chaque jour surprise de la capacité de ces personnes à trouver des solutions (invivables) pour ne pas crever! La capacité d’adaptation chez l’être humain est incroyable et c’est super mais tabler sur elle c’est dégueulasse…

Notre travail consiste donc principalement à maintenir, tant que faire ce peut, la tête hors de l’eau de personnes, de familles en situation de grande vulnérabilité. 

Si j’insiste sur cette réalité c’est pour dénoncer le fait que dans ce contexte qui donne primauté au contrôle et au mérite, en plus de déshumaniser une profession basée pourtant sur la relation humaine, évince tous les objectifs du travail social. 

Effectivement, à mon sens, les principes fondamentaux contenus dans le code de déontologie des AS sont actuellement mis en échec. En voici quelques uns.  

1. Participer au changement structurel et social pour plus de justice sociale. 

Si nous passons notre temps à panser au sens de mettre des pansements sur des problèmes individuels qui sont des conséquences directes des politiques sociales excluantes nous ne disposons plus de sas de réflexion pour penser une action collective de changement de société et de ses structures sociales aujourd’hui excluantes. 

2, Garantir le droit à l’autodetermination c’est à  dire le droit des personnes à déterminer pour elles-mêmes ce qui est bon pour elles. Priorité donnée au consentement. 

Nous partons du principe que les personnes ont en elles les ressources nécessaires. Pour tout dispositif social nous devons nous appuyer sur ces ressources personnelles sinon le dispositif est inefficace.  Lorsqu’un revenu est octroyé seulement et seulement si la personne respecte des conditions qui ne tiennent ni compte de sa situation personnelle ni de ses aspirations, je ne vois pas où est laissée la place au consentement. 

3. Enfin je termine par le secret professionnel (Art 458 Du Code Pénal). Il constitue un DROIT pour l’usager/ DEVOIR pour le professionnel)

Ce dernier n’est pas respecté à ce jour puisque pour pouvoir octroyer le RI les TS partagent le secret. Pour rappel,  le secret est la règle et le partage l’exception sous respect de conditions cumulatives strictes. 

Son non-respect en plus d’être illégal entraine des conséquences non négligeables sur la qualité de la relation de confiance entre l’AS et la personne.  

Pour conclure, puisqu’un TS en plus de témoigner de la réalité sociale est également capable de propositions, et puisque ma fonction d’enseignante me permet de parler en toute légitimité de la population étudiante, une proposition intéressante serait celle de tenter le revenu de base pour les étudiants : 

Nous constatons que la population étudiante se précarise. Aujourd’hui de plus en plus d’étudiants sont bénéficiaires du RI. Donc pourquoi ne pas commencer l’expérience en misant sur cette jeunesse avec pour objectif de garantir à chacun l’opportunité d’étudier ? 

Un revenu de base octroyé de manière automatique (en se departissant de la notion de mérite). 

Cela permettrait : 

-un accès égalitaire à l’éducation ; 

-que ces jeunes puissent choisir librement leurs études et qu’ils puissent s’y consacrer pleinement. Car nous savons que les étudiants qui travaillent échouent davantage.  

-une autonomie vis à vis de leur famille. 

Merci

Anne RAKOVSKY, travailleuse sociale, enseignante et conseillère Ecolo au sein du CPAS de Forest.