Quand le droit à l’intégration sociale met à mal la vie des amoureux et la solidarité
Carte blanche parue dans Le Soir du 14 février.
Magali Plovie, députée bruxelloise. Dominique Decoux, présidente du CPAS de Schaerbeek. Zoé Genot, députée fédérale. Anne Herscovici, députée bruxelloise, conseillère CPAS. Stéphane Roberti, président du CPAS de Forest. (Tous Ecolo)
En ce jour de Saint-Valentin, les restos prévoient des menus spéciaux, les fleuristes des bouquets de circonstance et les journaux déclinent l’amour sur tous les tons.
Avec ou sans bougies, en pestant contre la publicité ou pas, les amoureux y trouveront prétexte pour une soirée de fête. Mais tous les amoureux ne seront pas à la fête, certains ne peuvent en effet pas s’offrir le luxe de vivre ensemble. Parce que vivre ensemble peut se traduire par la perte complète d’autonomie pour celui/celle qui n’a pas de salaire et est aidé par un CPAS, ou par la réduction des ressources de l’un et l’autre, s’ils sont tous deux aidés par le CPAS ou le chômage.
Valentine vit seule, elle a perdu son travail à temps partiel, elle ne compte pas suffisamment d’ancienneté pour bénéficier d’allocations de chômage. Heureusement, le CPAS va intervenir avec une aide financière (801 euros), il va aussi la soutenir dans une recherche d’emploi, l’orienter le cas échéant vers une formation, etc.
Valentine rencontre Valentin
Valentin travaille, il gagne 1.300 euros par mois. Ils rêvent de s’installer ensemble, calculent aussi qu’économiser un loyer leur permettrait de vivre moins dans l’angoisse du lendemain.
Valentine emménage chez son Valentin. Tout va bien sauf que lorsque Valentine informe son CPAS de sa nouvelle situation, elle découvre avec stupeur que vivant en couple avec Valentin, elle perd tout droit à l’intégration sociale parce que les revenus de son amoureux sont supérieurs au taux chef de famille (1.068 euros). Plus un euro pour elle qui dépend dorénavant entièrement de Valentin. Plus d’accompagnement à l’emploi non plus. L’amour peut-il résister longtemps à la dépendance ? Personne ne sera étonné que les femmes soient les premières piégées par ce genre de situation.
Si Valentine ne tombe pas amoureuse, mais a des amis qui lui proposent une colocation parce qu’avec la seule aide du CPAS, elle ne parvient plus à payer son loyer, elle verra son revenu d’intégration passer du taux isolé au taux cohabitant (534 euros) et découvrira que l’économie qu’elle imaginait faire grâce à la solidarité de ses amis est neutralisée.
Si c’est une mère ou un père qui lui propose de l’héberger, les ressources de ces derniers pourront être prises en compte pour le calcul de son taux cohabitant.
Le Service de lutte contre la pauvreté n’a de cesse dans chacun de ses rapports de rappeler « que cette non-individualisation du droit engendre des effets pervers, et tend à rompre les solidarités familiales ou amicales. Ce qui peut pousser l’individu à développer des stratégies qui relèvent plus de la survie que du délit : travail au noir, domiciliation dans un immeuble « à boîtes aux lettres ». (…) » La non-individualisation des droits a un coût social et collectif énorme, poussant des familles à se déstructurer, empêchant des couples ou les familles d’organiser des solidarités, pénalisant la colocation, l’habitat solidaire, jetant la suspicion sur les allocataires sociaux ou contribuant à la rareté des logements disponibles.
Dans ce contexte, avec le soutien de nombreuses associations impliquées dans la lutte contre la pauvreté et de mouvements de femmes, Ecolo et Groen, via les députés Zoé Genot et Wouter De Vriendt, ont formulé une proposition de loi en 2007 qui vise à porter au-dessus du seuil de pauvreté le niveau minimal des allocations de remplacement et à aligner progressivement le montant du revenu des allocations des cohabitants sur celui des isolés.
Une proposition qui n’a trouvé jusqu’ici aucune majorité suffisamment courageuse pour aller au-delà des slogans électoraux. En attendant Valentin et Valentine fêteront ce 14 février chacun chez eux…