Reconnaître la valeur de travail et de créativité de chacun
Ce 18 mars 2015, les locales de Saint-Gilles et de Forest ont organisé une soirée débat ayant pour thèmes l’exclusion du chômage, l’avenir de l’aide sociale et le devenir des CPAS.
Les exclusions massives des chômeurs/euses et des travailleurs/euses « hors emploi » qui ont lieu depuis janvier 2015 en application du décret décidé par le précédent gouvernement inquiètent, interpellent, et révoltent nombre d’entre nous. Pour preuve, Ecolo a déposé une proposition de loi visant le retrait de cette mesure.
Si la majorité d’entre nous est convaincue que cette mesure est absolument injuste voire immorale, il nous semble plus que jamais nécessaire de consulter la société civile et d’en débattre avec elle. Susciter le débat, recueillir des témoignages de terrain alimente notre réflexion et dès lors notre combat quotidien pour garantir à tous une vie digne. Par ailleurs, ces échanges entre citoyens permettent la construction collective d’un modèle de société commun, dimension fondamentale ; agir collectivement, « faire du politique » également en dehors des hémicycles redonne du sens et permet d’envisager des alternatives précieuses dans le contexte sociétal actuel.
Pour cet événement, notre panel était constitué de militants en prise quotidienne avec le terrain : Agnès Vermeiren, conseillère Ecolo au CPAS de Saint-Gilles, Thierry Muller, membre du collectif Riposte CTE (Chômeurs, Travailleurs Engagés) et Stéphane Roberti, président Ecolo du CPAS de Forest. Après avoir visionné le documentaire « Les parasites », ces derniers ont pu nous éclairer sur le contexte actuel des exclusions et également sur les questions et conséquences des mesures d’exclusion. Ensuite, ils ont surtout laissé place au débat et échangé avec la salle. Lors de cet échange, diverses opinions ont été défendues et, diverses expériences ont été partagées. Nous estimons fondamental d’en reprendre les tendances ci-dessous.
Tout d’abord, la question de l’utilité a été abordée. Comment la société reconnaît-elle celui qui est sans emploi ? Le modèle sociétal actuel fondé sur un paradigme économique nous impose une définition de l’utilité et également une vision de la richesse. En d’autres termes, l’humain n’est plus au centre du système économique en tant qu’acteur mais en subit les conséquences. Cela ne permet pas un épanouissement personnel et collectif. Cette impossibilité a pour conséquence un renoncement à un idéal de société. Il est dès lors fondamental de remobiliser pour redéfinir collectivement et démocratiquement des termes tels que richesse, production, travail afin que chacun retrouve sens à sa situation et en définitive son utilité dans la société.
Ensuite est apparue la question de la légitimité de notre système actuel. Nous constatons que ce dernier ne fonctionne pas. Il génère de manière organisée la précarité des citoyens. Nous constatons dans les faits qu’il fait porter sur le dos des plus faibles un poids dont ils ne sont pas responsables. Ces publics majoritairement composés de femmes, de personnes handicapées, d’immigrés, de pensionnés, de personnes sans-abri, se trouvent violentés par notre système. Notre sécurité sociale basée sur un système assurantiel ne serait plus capable de protéger les plus démunis, bien au contraire. En vertu de l’article 63 paragraphe 2, la contrainte s’installe et punit les personnes qui ne participent pas à la richesse et ne détiennent pas de pouvoir d’achat.
Les diverses mesures prises ces derniers mois sous couvert d’économie réduisent l’espace d’existence, nécrosent la créativité, l’inventivité des individus et donc la capacité de participer à la construction d’un autre modèle de société. Les citoyens non conformes car non rentables sont exclus parce qu’ils ne prouvent pas leur disposition à l’emploi. Deux conséquences ont été soulevées lors de ce débat.
En premier lieu, la précarisation du marché de l’emploi. Nous ne sommes plus dans une situation de plein emploi. Alors, comment répondre à l’injonction de travailler ? Il faut prouver que l’on cherche du travail. Mais faut-il chercher du travail pour chercher du travail ou pour trouver un travail ? Nous nous retrouvons face à un discours et à des mesures hypocrites qui, une fois de plus, malmènent les citoyens. La demande d’emploi étant plus grande que l’offre, l’individu se trouve dans une relation de déséquilibre vis-à-vis de l’employeur. En effet, le demandeur d’emploi non content des conditions de travail offertes ne sera pas engagé car de nombreux autres accepteront le job à n’importe quelle condition par peur d’être exclus, jugés, considérés comme inutiles. Ceux qui refusent un travail qu’ils estiment inadapté (vu leurs compétences), ceux qui défendent un autre type de vie se retrouvent alors en conflit, malgré eux, avec le système.
En deuxième lieu est abordée la localisation de la solidarité. En effet, le chômeur qui se voit exclu pourra prétendre (sous certaines conditions) au Revenu d’Intégration Sociale auprès du CPAS. Ce sont donc les CPAS qui portent la charge des exclusions massives. S’il est évident que la solidarité doit aussi jouer au niveau local, les structures actuelles, vu les contraintes budgétaires, ne peuvent supporter le poids des mesures fédérales. De plus, il n’est pas impossible que la loi de 76 soit également revue et reprenne le schéma de la mesure article 63 paragraphe 2. Une proposition serait alors de réorganiser la solidarité au niveau fédéral voir européen. Pour ce faire, il faudrait que les partis politiques travaillent ensemble vers un objectif commun. Par ailleurs, une inquiétude règne dans les CPAS. Le nombre de demandes d’aide sociale prévues suite aux exclusions est bien en deçà de la réalité. Dès lors, où sont passés ces exclus ? De quoi vivent-ils ? Ont -ils connaissance de leur droit au RIS ? L’inquiétude est palpable car ces personnes n’ayant plus de ressources financières ne pourront plus faire face à leurs charges prioritaires, elles se verront expulsées de leur logement et se retrouveront dans la rue. Comble du paradoxe : il existe de nombreux programmes de remobilisation et de réinsertion des personnes sans-abri, les mesures prises produisent des trajets en sens inverse.
Sont alors évoquées les possibilités de révolte, d’émeute de la population qui n’en peut plus. Qui n’est pas écoutée, qui ne peut plus se confier et qui n’a plus le temps de prendre du recul pour envisager des alternatives ou un dialogue pacifique. Est également abordé le concept de fraude sociale. En effet, une étude a démontré qu’il y avait 4% de fraude sociale au sein des CPAS. On est loin des fantasmes qui peuvent se propager dans l’opinion publique, qui voient une fraude généralisée et endémique. Le gouvernement organise donc une chasse à la fraude, de manière très sélective par rapport à d’autres types de fraudes. On note que tous les partis politiques qui gouvernent actuellement envisagent la fraude sociale comme un problème prioritaire, les uns par populisme, les autres comme mesure indispensable au sauvetage du système de sécurité sociale. Dans l’assemblée s’élève l’idée que cette fraude représente non pas une volonté du bénéficiaire d’être en conflit avec le système mais bien la seule manière pour lui de survivre face à ces mesures de plus en plus inhumaines.
Face à ces constats, diverses alternatives ont été proposées dans la salle, telles que le revenu universel, un travail de fond sur l’égalité hommes/femmes (travailler à la source pour éviter que les femmes se trouvent plus fragilisées que les hommes), la marge de manœuvre possible des travailleurs sociaux dans les administrations publiques, etc.
Pour conclure, cette soirée débat nous aura fait prendre conscience ou aura renforcé nos convictions qu’il est primordial d’imaginer maintenant des aménagements voire un tout autre type de société, qui reconnaît la valeur de travail et de créativité de chacun. Pour construire cette société, il faut un travail participatif, collectif privilégiant plus que jamais la participation démocratique des citoyens…
Anne RAKOVSKY